Entrevue avec une sténographe officielle

REPÈRES ta carrière (Entrevues)
10 octobre 2025
Gabrielle Dubé

Derrière chaque mot, chaque silence capté en temps réel, il y a une oreille attentive et des doigts qui dansent. Entrez dans l’univers de Gabrielle Dubé, sténographe parlementaire, et laissez-vous porter par le récit d’un parcours peu commun.

Gabrielle Dubé
Sénat du Canada
Sténographe officielle
Question
Comment avez-vous choisi votre métier ?
Réponse

J’ai découvert la sténographie judiciaire un peu par hasard, mais avec une immédiate sensation de justesse. À ce moment-là, je travaillais en sous-titrage pour malentendants à la télévision. Je maîtrisais donc déjà la reconnaissance vocale et la transcription en temps réel, des compétences très techniques qui demandent beaucoup de rigueur et de concentration. Puis, un jour, en effectuant des recherches sur d’autres opportunités liées à mes intérêts et mes compétences, je suis tombée sur une description du métier de sténographe judiciaire. Rien que le mot m’a intriguée. J’ai commencé à me renseigner, à lire, à visionner des vidéos et à contacter des professionnels du milieu.

Très vite, j’ai ressenti un fort appel. Ce métier réunissait tout ce que j’aimais : la langue, la performance en direct, le travail de précision, la discrétion aussi. Je suis allée observer une sténographe à l’œuvre dans une salle d’audience d’un palais de justice, le temps d’un interrogatoire hors cour, et, malgré le décor un peu austère, je me suis sentie bien. J’ai vu dans ce travail quelque chose qui me ressemblait. Et je me suis dit : « Je pense que c’est ça que je veux faire ! »

Question
Quel est votre parcours de formation ?
Réponse

Évidemment, cette décision s’est inscrite dans un cheminement plus long. Mon parcours n’a rien d’une ligne droite. J’ai toujours été curieuse ; j’ai exploré plusieurs voies. J’ai d’abord étudié en sciences de l’orientation, où j’ai complété un baccalauréat. Les cours étaient passionnants, surtout ceux liés à la psychologie, mais je savais déjà que je ne voulais pas exercer comme intervenante. Ce n’était pas pour moi. Ce que j’aimais, c’était écouter, structurer, écrire.

C’est à cette époque que j’ai commencé à faire de la transcription pour une doctorante, comme emploi étudiant. J’y ai découvert un plaisir tranquille, une forme de concentration dans la tâche. Ensuite, j’ai travaillé pour un magazine : j’y ai coordonné des pigistes et occupé le poste de rédactrice en chef. J’ai aussi participé au programme Odyssée comme assistante de français à l’Île-du-Prince-Édouard. De retour au Québec, j’ai écrit un essai autobiographique pour une maison d’édition, sur commande, à titre d’auteure.

Toutes ces expériences m’ont forgée. Elles m’ont appris à écouter, à structurer, à livrer avec exactitude. C’est donc naturellement que j’ai poursuivi un microprogramme en édition professionnelle, puis, plus tard, entamé la formation en sténographie judiciaire. Il s’agissait d’une AEC de deux ans, particulièrement intense : nous avons commencé à 42 étudiants, mais seuls quatre ont terminé. Le dernier obstacle a été l’examen du Comité sur la sténographie. J’ai dû m’y reprendre trois fois avant de le réussir (ce qui est courant dans le milieu) et, même si ça a été difficile, je n’ai jamais voulu abandonner. Parce que je savais que j’étais à la bonne place.

Question
Quelles sont vos tâches dans une journée type de travail ?
Réponse

Je travaille au Sénat du Canada, alors mes journées tournent autour de la captation en direct des séances du Sénat et des comités parlementaires, puis de la transcription des prises. Lorsqu’on capte en direct, on travaille toujours en duo : 30 minutes chacun à tour de rôle, parce que la concentration exigée est immense. Pendant ma demi-heure, je suis en prestation complète. Je dois capter, en temps réel, tout ce qui se dit, avec exactitude.

Le reste du temps, je fais de l’édition, ce que nous appelons « transcription » dans le jargon : je révise les prises captées en direct, je corrige les erreurs, je reformule et j’insère des procédures techniques telles que des titres, des sous-titres et des textes prérédigés. Tout cela est ensuite publié et constitue le compte rendu officiel des délibérations du Sénat, mis à la disposition du public après chaque session.

Entre mes prises et durant mes transcriptions, je passe également beaucoup de temps à enrichir mes dictionnaires personnalisés, parce que chaque mot doit être défini pour que ma sténotype traduise correctement ce que je tape par la suite. C’est un travail très technique, mais aussi très vivant, dynamique.

Question
Qu’est-ce que vous aimez le plus de votre profession ?
Réponse

Ce que j’aime, c’est la performance en temps réel. La concentration que ça demande, l’adrénaline ressentie, le sentiment d’être totalement dans l’instant présent. Il n’y a pas de place pour autre chose pendant ces 30 minutes. C’est un métier de précision, mais aussi de présence mentale.

J’aime aussi mon outil de travail : ma sténotype. Elle est le centre de mon univers technique, autant que mes dictionnaires, que je bonifie chaque jour. Enfin, j’aime faire partie d’une équipe. Après avoir été longtemps travailleuse autonome comme sténographe judiciaire, je mesure aujourd’hui combien le sentiment d’appartenance est important pour moi.

Question
Qu’est-ce que vous aimez le moins ? Quelles sont les difficultés ?
Réponse

Ce qui me met le plus au défi, ce sont certaines tâches d’édition très techniques. Il y a une foule de règles et de détails à intégrer : les procédures à insérer, les normes rédactionnelles, les exceptions à connaître selon le contexte, les technicalités. Ce n’est pas figé et ça évolue constamment, au même rythme que la technologie. Même après un an de pratique au Sénat, il m’arrive presque tous les jours d’être confrontée à des cas inédits. Comme j’ai un côté perfectionniste, ça me « challenge » parfois de devoir demander de l’aide, même si je suis bien entourée. J’aimerais tout maîtriser d’un premier coup, mais j’apprends à accepter que ce métier demande un apprentissage continu.

L’autre difficulté, ce sont les horaires. On travaille souvent en soirée, parfois jusqu’à minuit, surtout en fin de session parlementaire. Avec un enfant en bas âge et un conjoint aux horaires atypiques lui aussi, ça demande une logistique serrée. Il faut jongler avec les soupers, les routines, les imprévus. Ce n’est pas toujours simple, mais on finit par trouver un équilibre — parfois un peu fragile, mais qui tient.

Question
Une chose méconnue de votre métier ?
Réponse

Ce que les gens ignorent souvent, c’est à quel point notre travail est technique et exigeant. On pense parfois qu’il suffit de taper vite, ou qu’une machine ou l’intelligence artificielle pourrait effectuer le travail à notre place. Or, capter la parole en temps réel, avec précision, dans un contexte et un décorum aussi formels que le Sénat ou les tribunaux, demande une formation rigoureuse, une grande concentration et une maîtrise linguistique très fine.

Aussi, peu de gens savent que notre transcription devient la version officielle des débats. Comme mentionné précédemment, tout ce qu’on produit est publié et peut être utilisé comme référence par les instances politiques, les juristes ou les archives parlementaires. C’est un métier discret, mais essentiel. Une fois la captation terminée, il y a encore tout le travail de révision, de mise en forme et de vérification, souvent invisible, mais crucial pour livrer un texte fidèle, clair et lisible.

Question
Est-ce que votre travail exige des capacités particulières ?
Réponse

Absolument. Il demande une capacité de concentration hors du commun, parce qu’en prestation en direct, on ne peut pas se permettre de décrocher, même une seconde. Il faut aussi une bonne endurance mentale — et physique — pour maintenir ce niveau d’attention pendant de longues journées et souvent même en soirée. La rapidité d’exécution est essentielle, tout comme la coordination œil-main, surtout avec la sténotypie où chaque doigté compte.

Au-delà des compétences techniques, ce métier demande une grande capacité d’adaptation. On change constamment de sujet, de rythme, d’environnement sonore. On doit s’ajuster à de nouveaux accents, à des propos très spécialisés, parfois à des échanges imprévus. Il faut aussi être psychologiquement disponible, capable de garder son calme et sa clarté d’esprit même quand la pression monte ou que le contexte devient délicat.

Question
Quelles sont vos conditions de travail (horaire, contraintes, avantages) ?
Réponse

Je suis salariée au Sénat du Canada, avec un poste permanent indéterminé. Je travaille de longues journées, souvent du matin à tard le soir, et les affectations de captation en direct aux comités me sont transmises la veille, ce qui complique parfois la planification. Il y a toutefois de nombreux avantages : des semaines de relâche payées à chaque jour férié, une longue pause estivale de juillet à septembre, un bon climat d’équipe et un salaire attrayant. C’est donc un emploi stimulant et jamais routinier.

Question
Constatez-vous une évolution du métier ?
Réponse

Oui, et elle est majeure. Depuis peu, la formation classique de sténotypie assistée par ordinateur n’est plus offerte. Elle a été remplacée par le sténomasque, une méthode de transcription basée sur la reconnaissance vocale. L’intelligence artificielle fait aussi tranquillement son entrée, même si nous sommes encore bien loin d’être remplacés. La présence humaine restera encore longtemps essentielle, voire cruciale, pour assurer la vérification et un jugement critique. On s’en va également vers un changement de méthode à long terme, même si le métier de sténographe parlementaire demeure.

C’est à la fois déstabilisant et fascinant. Je fais partie des dernières cohortes formées à la sténotypie et je sens déjà que mon expertise en sous-titrage et en reconnaissance vocale m’a aidée à me positionner, notamment pour mon embauche au Sénat du Canada.

Question
Suggestions à quelqu’un qui voudrait faire ce métier ?
Réponse

Je dirais : informe-toi bien. Parle à des gens qui le pratiquent, sois proactif et demande à les observer sur le terrain. Évalue ton niveau d’endurance et de discipline. C’est un métier magnifique, mais exigeant. Il faut être prêt à faire des sacrifices, à vivre des horaires atypiques, à affronter des défis techniques.

Si tu as la passion du langage, le goût de te dépasser, et que tu veux effectuer un travail qui a du sens et qui contribue à l’amélioration de l’accessibilité, ce métier peut être pour toi. Moi, il m’a permis de trouver ma place, après bien des détours. Rien que pour ça, je lui suis profondément reconnaissante.

 

*** Des outils d'intelligence artificielle (IA), dans un environnement contrôlé et sécurisé, ont été utilisés pour soutenir la rédaction de ce contenu qui a toutefois été soigneusement retravaillé et vérifié par l'Équipe Repères. ***

Équipe Repères