Entrevue avec une ergothérapeute

REPÈRES ta carrière (Entrevues)
4 octobre 2024
Noémie Robert, ergothérapeute

Quelle plus belle mission que celle de redonner la dignité aux personnes qui vivent une perte d’autonomie! Dans cette entrevue, Noémie Robert, ergothérapeute, nous parle des petits miracles que sa profession lui permet d’accomplir.

Question
Comment avez-vous choisi votre profession et quel a été votre parcours?
Réponse

Après un diplomation en sciences de la nature au cégep, je ne voyais pas encore clairement ce que je voulais faire dans la vie. J’avais une attirance pour la psychologie et les relations interpersonnelles, mais j’hésitais à devenir psychologue.  L’aspect abstrait de cette science me rendait inconfortable et hésitante. C’est une collègue en restauration qui m’a parlé de son stage en ergothérapie.  Euh…l’ergo quoi? Le nom à lui seul a piqué ma curiosité. Dans ses mots, elle m’a expliqué que l’ergothérapeute redonne la dignité aux gens, en réduisant les barrières qui les empêchent d’accéder à l’autonomie et au maintien de leurs habitudes de vie. Et elle m’a démontré les interventions concrètes que l’ergothérapie posent en ce sens. C’est lorsque j’ai saisi l’utilité de cette profession pour améliorer la qualité de vie des gens que j’ai su que j’allais devenir ergothérapeute. Je me suis donc inscrite au baccalauréat en ergothérapie à l’Université Laval.

À la fin de mes études universitaires, malgré les différents stages réalisés, il m’était difficile de préciser la clientèle avec laquelle je voulais travailler. Un concours de circonstances m’a menée auprès des aînés atteints de troubles neurocognitifs. Ce fut un coup de cœur. J’étais faite pour cette clientèle. J’ai donc travaillé pendant 20 ans en milieu d’hébergement. J’ai adoré ce travail. Il m’a donné un accès privilégié à la vie des gens en contribuant à pallier leurs incapacités et à les rendre confortable à cette dernière étape de leur vie. En hébergement nous formions une mini-société unie, incluant les résidents, leur famille, les employés et les bénévoles. Cela donnait du sens à mon besoin de faire une différence et d’aider les gens « pour vrai », puisque je constatais par moi-même les bienfaits de mes interventions sur le quotidien des personnes.   

En parallèle, étant issue d’une famille travaillant en éducation, j’avais un attrait pour l’enseignement, et j’ai effectué un DESS en andragogie. Ce diplôme d’études supérieures spécialisées m’a permis de devenir chargée d’enseignement au programme d’ergothérapie de l’Université Laval, puis d’intégrer l’équipe de mentorat du Centre d'excellence sur le vieillissement de Québec (CEVQ). Même si ce n'était pas dans mes plans de quitter l’hébergement, le défi m’interpellait tellement que j’ai accepté ce changement de cap vers le mentorat. Les différentes missions du CEVQ soit la recherche, les soins, la formation et l’éducation populaire combinent mes différentes expertises.

Question
Quelles sont vos tâches dans une journée type de travail?
Réponse

Mon rôle de mentor consiste à accompagner les équipes de première ligne dans les prises en charge plus difficiles d’usagers avec troubles neurocognitifs.  Notre équipe intervient sans distinction du domicile à l’hébergement, en passant par les centres hospitaliers. Nous évaluons la personne directement dans son milieu de vie, et dans une perspective de transfert de connaissances, nous aidons les équipes de soins à trouver les causes qui contribuent à la survenue de certains comportements.  Par la suite, nous accompagnons le personnel dans la mise en place d’un plan d’interventions et nous assistons la réalisation et la réévaluation de ce plan.  À terme, nous fermons un dossier lorsque la situation s’est améliorée et que le mentorat a permis d’augmenter le niveau de connaissance et de compétences des soignants.  Une autre partie de mon mandat est d’informer et de sensibiliser. Dans cette optique, je développe et anime des formations. Je donne des conférences. Je siège à des comités visant l’amélioration des milieux de vie pour aînés. Je participe à des activités de recherche et j’offre des rôles conseil et du mentorat visant à préciser comment prendre en charge, en ergothérapie, les comportements réactifs de la clientèle avec troubles neurocognitifs. Finalement, j’enseigne au programme d’ergothérapie de l’Université Laval. 

Question
Qu’est-ce que vous aimez le plus de votre profession?
Réponse

L’aspect que j’aime le plus de ma profession, c’est la connexion qu’elle me permet d’établir avec mes clients. C’est un privilège de réussir à gagner leur confiance. C’est la clé qui m’aide à découvrir leur univers. Cette ouverture sur leur quotidien me permet de faire une différence positive dans leur vie. Pour moi, c’est un moteur puissant de motivation. Un autre aspect qui me tient à cœur, c’est de pouvoir redonner aux clients un maximum d’autonomie dans leurs habitudes de vie, et ce, malgré les pertes subies. J’aime que ce travail me permette d’aider concrètement les personnes en observant le résultat de mon travail et son impact sur eux. C’est très valorisant de voir une personne retrouver sa dignité. L’ergothérapie a une philosophie qui concorde parfaitement avec ma vision de la réhabilitation en conservant le focus sur le potentiel de la personne et non sur ses pertes. 

Question
Quels sont les points négatifs, les défis ou les difficultés de votre travail?
Réponse

Un défi affronté est le ratio d’ergothérapeutes, qui m’apparaît souvent insuffisant pour exercer pleinement la profession. La réalité est difficile : le nombre de clients a augmenté, les délais de prise en charge sont allongés et le temps disponible pour exercer a diminué. On sent un essoufflement dans la pratique. De façon générale, une pression plus grande pèse sur les épaules de l’ensemble des professionnels intervenant dans le secteur de la santé. Le manque de ressources financières, humaines et matérielles est réel. C’est difficile d’être face à des personnes en besoin et de ne pas être capable d’y répondre. Lorsqu’un client n’est pas évalué dans un délai raisonnable, sa situation se complexifie. Il peut s’installer un sentiment d’impuissance et de démotivation. Il faut résister à l’épuisement par compassion.   

Question
Quels sont les aspects méconnus de votre profession?
Réponse

Bien que la profession existe depuis plus d’un siècle, elle est encore méconnue du grand public et ses déclinaisons échappent encore à plusieurs professionnels de la santé. Elle est souvent confondue avec des professions similaires (physiothérapie, psychoéducation, éducation spécialisée). L’application du plein exercice de la profession demeure floue pour certains, parfois même au sein de la profession. Pour contrer cette méconnaissance, je crois qu’il faut continuer de déployer le plein rôle de l’ergothérapie, l’enseigner et le transmettre, et sensibiliser les décideurs à l’ensemble des services qui peuvent être rendus en ergothérapie à la fois aux clientèles en santé physique, santé mentale, gériatrie, pédiatrie, déficience intellectuelle et autisme, et dans les différents milieux de pratiques, incluant les milieux communautaires et scolaires. 

Question
Qu'est-ce que vous diriez à quelqu'un qui désire faire ce choix de carrière?
Réponse

Je lui dirais que l’ergothérapie fait une différence positive dans la vie des gens. Que c’est un métier qui présente une vision positive et holistique de la personne en se concentrant sur ce qu’elle peut accomplir plutôt que sur ses incapacités. Que c’est une profession qui permet de potentialiser les capacités des individus. Je lui dirais aussi que l’ergothérapie aide à déployer sa créativité et sa capacité à s’adapter à toutes sortes de contextes. Il ne faut pas craindre d’expérimenter et d’adapter les interventions à la réalité des personnes rencontrées. L’écoute du client et de sa famille est essentielle, car les pistes d’amélioration viennent souvent d’eux et doivent être centrées sur eux. L’ergothérapie nécessite un travail de collaboration avec les autres professionnels de la santé. Il faut donc aimer travailler en équipe. De plus, il faut avoir une vision globale de l’individu pris en charge. Il faut être en mesure de prendre en compte tous les éléments qui interfèrent ou ont interféré dans sa vie pour être en mesure d’apporter des moyens concrets qui lui feront retrouver le maximum d’autonomie et de qualité de vie. De ce fait, le praticien en ergothérapie doit posséder une bonne capacité d’observation et de synthèse. L’écoute et l’empathie sont aussi des qualités prépondérantes et essentielles dans l’exercice de ce métier.

Question
Constatez-vous une évolution de votre métier?
Réponse

Même s’il y a encore du chemin à faire, la compréhension des différents mandats que peuvent exercer les ergothérapeutes, tend à se définir. Les recherches en ergothérapie sont très prometteuses. L’Ordre des ergothérapeutes du Québec (OEQ) s’active présentement à positionner le rôle contemporain des ergothérapeutes auprès des instances de gouvernance et à guider ses membres vers une pratique servant au mieux le public. Du chemin reste à parcourir afin que l’ergothérapie se reconnaisse elle-même et soit reconnue comme une profession distincte qui possède une expertise large et différente des autres professions apparentées en santé. Mais plus la clientèle, les intervenants et la population dans son ensemble sera consciente des possibilités du plein exercice de la profession d’ergothérapeute, et que les structures organisationnelles permettront la réalisation des mandats, plus nous pourrons contribuer à redonner de la dignité et une meilleure qualité de vie aux personnes qui ont des défis à relever dans l’actualisation de leurs habitudes de vie.

Entrevue réalisée par Katia Harvey